Rose de Matinik

Je porte le nom d’un bateau
Accosté dans une belle île,
Un navire de 300 tonneaux,
Passé par l’Afrique et le Brésil.

Comme d’autres, mon aïeul a bourlingué,
Vers des côtes paradisiaques,
Enduré eau croupie et promiscuité,
Subi la morsure d’une fièvre démoniaque.

Pour l’armateur et les planteurs du Roi,
Il n’est pas question d’autre chose,
Que d’une denrée telle le sucre ou le tabac,
Dans leur morale rongée d’une financière nécrose.

Une marchandise quasi-clandestine,
Entre deux cargaisons commerciales,
Une histoire presque anodine,
Que l’Europe enfanta dans ses cales.

Dans chaque goélette, frégate ou brick,
Où s’entassent les infortunés braves
Enferrés par deux dans l’espace anémique
D’un double entrepont sous le vent à l’étrave,
C’est un infâmant héritage que l’on fabrique.
L’air vicié et la chair marquée par l’entrave
Constitueront les seuls souvenirs, tragiques,
Des êtres enchaînés devenus esclaves.
Comme pour tous ses frères de couleur,
Déportés arrachés à leur village,
Son nouveau nom sera donné par le gouverneur,
Celui du navire négrier le débarquant à l’amarrage.
Les siècles meurent dans les plantations,
Le temps polit mais n’efface pas
La cicatrice qui reste après l’abolition,
Fleur de Lys au fer rouge que l’Histoire retiendra.
Cette Rose sanglante porte la mémoire.
Sur toutes ces voiles, toutes ces carènes,
Des âmes brisées sans gloire
Au pilori de la traite africaine.
Je suis fier de mon histoire
Qui fait couler dans mes veines
Du sang franc et du sang noir,
Sèves mêlées de chêne et bois d’ébène.

(Poème primé, David Burland International Poetry Prize 2013, Category French)

From: 
Florence Vitel




ABOUT THE POET ~
Poet and writer.


Last updated December 02, 2015